Portrait de chirurgien – Dr Isabelle Sarfati, chirurgienne plasticienne Ă l’Institut du Sein
Entretien en octobre 2018
Je suis spécialisée en chirurgie du sein, et dans le cadre du cancer du sein, plus particulièrement en reconstruction mammaire. J’ai fait médecine pour faire de la chirurgie plastique. Je savais d’emblée que je ne voulais pas être à un poste thérapeutique, je ne voulais pas me confronter directement avec des enjeux de vie, de mort, de traitements, et que je voulais réparer. Je voulais réparer l’image.
J’ai l’impression que mes collègues sauvent des vies, et que moi je sauve les apparences, et que ne n’est pas si futile que ça, sauver des apparences. Certes ce n’est pas vital, mais les rapports qu’on peut entretenir avec son apparence, avec ce qu’on voit de soi, nous disent qui on est et nous dictent d’une certaine manière qui on est. Enfin c’est interactif en tout cas, et en travaillant sur l’apparence, on change les vies des gens.
D’une certaine manière, le cancer c’est un accident de la vie. Quelquefois ça coûte un sein, et certaines patientes ont d’ailleurs appelé ça « la morsure de la mort », comme si la mort leur avait piqué uniquement un bout de sein et les avait laissées sauves. Cette réparation, c’est quelque chose qui répare plus de choses que ça, qui permet à des femmes – si elles le veulent, cela n’a absolument rien d’obligatoire, vraiment je comprends très bien toutes celles qui ne se font pas reconstruire –, mais pour celles qui le veulent, ça peut permettre, quand on se lève le matin, quand on prend une douche, quand on s’habille, de ne plus penser obligatoirement à ce qui s’est passé, de ne pas replonger à chaque fois dans ce moment difficile parfois de leur vie.
C’est une arme comme les autres, ce n’est pas mieux qu’autre chose. Certaines femmes préfèrent travailler sur elles-mêmes et accepter et assumer certaines disgrâces ou malformations ou certains accidents. D’autres préfèrent agir sur l’apparence. En fait, tout le monde travaille sur un tout petit peu tout, mais le fait de pouvoir quelque chose est très important, même si on ne le fait pas.
La reconstruction mammaire, c’est de l’artisanat. C’est-à -dire que ce n’est pas une création à chaque fois, c’est vraiment une figure imposée, je sais exactement ce que j’ai à faire, quel volume je veux faire, comment je veux le faire. Donc en ce sens-là , il n’y a pas de la création, il y a de l’artisanat parce qu’il y a de la technique. Je fais de la sculpture sur un matériau très noble qui est le corps humain. Je fais de la sculpture sur des seins de femmes.
Je me sens beaucoup plus proche d’un menuisier que de Picasso. Je me sens proche des métiers de restauration. Quand je discute avec des gens qui font de la restauration de tableaux ou de la restauration de meubles anciens, j’ai l’impression qu’on fait un peu le même métier. Quand je discute avec des artistes qui font de la création, je n’ai pas l’impression particulièrement de faire le même métier qu’eux.
J’ai envie de restaurer ce que je vois aussi de la vie des médecins, j’ai l’impression que quand les patientes parlent de leur médecin, elles ne se rendent pas compte toujours de ce que c’est que d’être médecin. Et j’en parle d’autant plus librement que je ne me considère à la limite pas comme une médecin. Et j’ai une admiration sans bornes pour ceux qui sauvent des vies… À la fois beaucoup d’admiration, et beaucoup de peine pour eux.
Je travaille avec des cancérologues et je suis impressionnée par la violence de l’impact du cancer sur les patientes – ça, ce n’est pas une découverte –, mais sur les médecins aussi. Je réalise quel degré de souffrance ils ont, à passer une journée à prendre en charge des personnes dans des situations difficiles. On ne sort pas indemne d’une consultation, d’une journée comme ça. Je suis impressionnée de l’implication psychique et des retentissements dans la vie des oncologues liés à leur métier.
Au lieu de s’endurcir au contraire, ils s’exposent volontairement de plus en plus à cette relation, à l’empathie, à l’accompagnement des patientes, ils s’attachent de plus en plus à leurs patientes, et ça leur pèse. Et moi je suis à une espèce de carrefour où j’ai l’impression de reconstruire les patientes qui s’adressent à moi, de materner un peu les oncologues avec qui je travaille pour essayer de leur rendre la vie plus douce, plus agréable, essayer que leur environnement professionnel soit plus facile pour eux, et je crois que c’est un poste important. Adoucir la vie des gens, des médecins et des patientes, c’est important pour moi.
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